karoshi 44 : les pieds dans le plat

Il faut le reconnaître, Tôkyô est un vrai paradis pour le célibataire paresseux. Au fil des rues illuminées de néons, moult restaurants vous tendent les bras et rivalisent d'efforts pour vous mettre l'eau à la bouche à grand renfort de plats en vitrine et en plastique du plus bel effet. Diffile de résister à ces appels, lorsque l'on ne connaît des subtilités de la cuisine japonaise que la partie « dégustation », et que les rayons des supermarchés semblent regorger d'autant de mystères que de légumes.

Mais le début de l'année est la saison des grandes résolutions, et encore dans l'euphorie des fêtes, j'ai donc décidé de prendre les choses à bras le corps, et de me lancer une bonne fois pour toutes dans l'apprentissage de la cuisine nipponne. Et, plein d'ambition, je me suis dirigé vers le Tower Records de Shibuya, afin d'y acheter un petit livre au titre fort alléchant : Easy Japanese Cooking for Everyone. C'est alors que je me suis rendu compte bien vite qu'il y a loin de la théorie à la pratique, et que ce n'est pas parce que c'est « easy » que c'est forcément facile.

L'avantage du livre, au moins, c'est que l'on peut enfin mettre un nom sur ces légumes colorés aux formes étranges qui peuplent les étalages. On découvre les épices utilisées pour la cuisson de tel ou tel plat, on apprend l'utilité du hondashi dans la préparation de la soupe miso. Et l'on se retrouve à arpenter les rayons du supermarché voisin, le front plissé par la concentration, à tenter d'identifier les-dits produits sous le regard méfiant et soupçonneux des petites vieilles pliées en deux.

Car n'oublions pas un détail crucial, qui fait toute la différence : c'est peut-être très amusant de jouer les apprentis-sorciers devant les fourneaux, mais on rigole beaucoup moins lorsque l'on sait que l'on va devoir consommer le résultat de ses expérimentations culinaires. Alors, j'ai décidé de jouer la carte de la prudence, et de prendre mon temps pour tester tous ces nouveaux goûts aux noms exotiques.

Et avec raison, si l'on en juge par ma dernière découverte en date, un légume pitoresquement appelé (si j'en crois mon Easy Japanese Cooking for Everyone) taro. Visuellement, le taro ressemble à un bulbe de la taille d'un oeuf, recouvert de fibres épaisses proches de la noix de coco. Tellement appétissant qu'on en mangerait presque.

Histoire de vérifier que le taro n'est pas, comme les coloquintes, simplement décoratif, je suis allé chercher dans le dictionnaire pour voir s'il n'y avait pas de traduction approximative qui puisse me permettre de savoir à quoi m'en tenir, du genre « chou chinois » ou « pâte de soja ». Et je suis tombé sur : « taro : (n.) taro. » Chouette.

Qu'à cela ne tienne, j'ai tout de même décidé de me préparer le taro en soupe avec des pâtes et plein d'autres trucs plus connus, comme la racine de lotus ou les petits champignons japonais. Et me voilà donc en train d'éplucher un de ces bulbes chevelus, qui continue à me faire craindre le pire. Epluchée, la chose a en effet la consistance d'une savonnette, glissante et vaguement gluante. Miam.

Mais comme il faut vivre les expériences jusqu'au bout, je poursuis la préparation de mon repas, et je met le taro en question à cuire dans de l'eau. Et là, je découvre le dernier aspect succulent de ce légume décidément plein de surprises. Car, à la cuisson, le taro mousse. Mais pas une simple écume, comme on peut en trouver sur le riz, non, une bonne mousse bien blanchâtre et tenace, comme si j'avais (par mégarde) assaisonné le tout d'un soupçon de liquide vaisselle – ce que je n'ai pas fait, je tiens à le préciser.

Et finalement, après avoir ôté l'excédent mousseux et terminé ma recette (pas d'autre incident notable), je puis vous dire que le taro est relativement consommable, avec un goût et une consistance à mi-chemin entre le navet et la pomme de terre.

(pour votre culture, le mot taro existe aussi en français, je l'ai découvert en rédigeant ce karoshi report. « taro ou tarot n. m. BOT Plante des pays chauds (genre Colocasia , fam. aracées) cultivée pour son tubercule comestible riche en amidon; ce tubercule. En Polynésie, les jeunes feuilles de taro sont cuites à l'eau ou à la vapeur et consommées comme légume. Syn. colocase, oreille d'éléphant, sonje. »)

Je tiens à vous rassurer, toutes mes préparations ne prennent pas un tournant aussi dramatique, et si le plus souvent le résultat ne paie pas de mine, il reste toujours (raisonnablement) mangeable. Bien sûr, il faut un peu de temps pour s'habituer au petit goût étrange que l'huile de sésame (à défaut d'olives) donne aux aliments, mais avec une bonne dose de sauce soja, cela passe sans problème.

Et désormais, même si je ne crache pas sur un bon petit restau de temps en temps, je m'applique régulièrement à apprivoiser mes fourneaux, sans désespérer d'arriver un jour à produire quelque chose de bon (si, si!). Laissez-moi juste un peu de temps ...