karoshi 43 : pretty in pink

Février se termine et Mars montre le bout de son nez. Le printemps n'est plus loin, et c'est non sans une certaine appréhension que l'on se prépare à affronter la mode de la nouvelle saison. Souvenez-vous que l'été dernier avait été placé sous le signe d'Hawaii, faisant déferler sur Shibuya des armées de demoiselles en paréos vivement colorés, arborant les accessoires indispensables qu'étaient le sac de plage et le collier de fleurs.

L'automne avait été plutôt sage, avec l'arrivée massive des chapeaux de cow-boy et des bijoux tendance indienne (plumes et perles enfilées sur des lanières de cuir), avec çà et là quelques blousons à franges. Quant à l'hiver ... l'hiver s'est révélé surtout frileux, et donc bien sage, les mini-jupes se cachant derrière d'amples manteaux – des manteaux fendus jusqu'à mi-cuisse, tout de même, et agrémentés de col de fourrure à poil long.

Bref, la belle saison s'apprête à revenir, et désireux de me préparer au mieux (psychologiquement parlant, s'entend) à cette épreuve, j'ai décidé d'investir dans la version locale de Jeune et Jolie – titre auquel les mauvaises langues ajouteraient : « mais pas Intelligente ». Et c'est donc ainsi que j'ai acheté le dernier numéro de EGG.

Depuis maintenant près d'un an et demi que je vis au Japon, j'ai fini par m'habituer aux choses les plus étranges, aux visions les plus étonnantes, aux coûtumes les plus incroyables. J'ai affronté courageusement les sushi au poulpe, avec le tentacule qui vous fait un petit signe engageant. J'ai enduré stoïquement les reniflements vigoureux et les traînements de pieds de mes collègues durant l'hiver. Et même lorsque l'on m'a envoyé pendant deux jours sur un salon tout à la gloire du dieu Pikachû, j'ai fait bonne figure.

Mais rien de tout cela ne m'avait préparé à EGG. Et encore sous le choc, je ne suis absolument pas capable de faire un quelconque pronostic concernant les prochaines tendances de la mode tôkyôite. Une seule chose est sûre : si jamais cela ressemble à ce que que l'on peut trouver dans ces pages, ça va être terrible ...

Un simple coup d'oeil à la couverture permet de craindre le pire : pleine page, on y découvre le visage grimaçant d'une Shibuya Girl au dernier degré, prête à mordre à pleines dents dans la vie, la peau noire et le regard souligné d'une épaisse couche de peinture blanche et bleue, le tout encadré par des cheveux d'un gris sale.

A l'intérieur, le cauchemar continue alors que l'on découvre le look particulièrement édifiant de cette demoiselle qui répond au doux (sur)nom de Buriteri – ce qui signifie approximativement : « Teri qui a du style ». La Teri en question est apparemment incapable de faire face à l'objectif sans tirer la langue ou faire toute sorte de mimiques, ce qui rajoute sans aucun doute à son charme.

Vestimentairement parlant, cela va d'une robe longue d'un blanc immaculé (presque élégant) à la micro-robe super-moulante et bleu électrique portée sous un grand manteau de la même couleur, en passant par l'ensemble mini-jupe et veste dorée. Le tout perché sur vingt bons centimètres de talons et photographié à Shibuya (of course !).

En comparaison, le dossier spécial « Pink » qui suit est presque sage, malgré la demi-douzaine de petites minettes qui y défilent dans toutes les teintes de fushia possibles et imaginables. (et pour ceux qui y verraient peut-être l'indication d'une nouvelle mode, je me vois obligé de les détromper. Depuis un ou deux mois déjà, on peut croiser des Shibuya Girls en version « pink » de la tête au pied. Du « vieux rose », en quelque sorte ...)

Mais si EGG (Get Wild & Be Sexy, comme l'indique le sous-titre) se montre visuellement frappant, il est encore plus stupéfiant dans ce qu'il laisse entrevoir de la culture des Shibuya Girls. A côté des enquêtes habituelles (que regardez-vous en premier chez un mec ? qu'est-ce qui vous fait complètement craquer chez lui ?) et les « sujets de société » plus sérieux (que transportez-vous dans votre sac à main ? comment meublez-vous votre chambre ?), ce sont les pages « reportage » et le courrier des lectrices qui se révèlent les plus étonnants.

Par exemple, on peut trouver – en plein milieu d'une double page de photos sur le thème « les Shibuya Girls en vadrouille » – la photo d'une demoiselle armée d'un godemichet tout ce qu'il y a de plus « pink ». Je ne suis pas un spécialiste de la presse féminine adolescente occidentale (et pour cause !), mais je doute que l'on y trouve souvent ce genre d'image ...

(pour ceux qui croiraient que ceci n'est qu'un cas isolé, je tiens aussitôt à les détromper. On peut retrouver à trois ou quatre endroits dans la revue ce genre d'accessoire, toujours accompagné d'une Shibuya Girl visiblement ravie)

Si l'on voit pas mal de filles « entre elles », il ne faut pas croire pour autant qu'elles rechignent à fréquenter des garçons (ceux qui, sans aucun doute, lisent la version masculine du magazine, savoureusement intitulé Men's EGG). Par contre, à en croire les photos, une bonne soirée est une soirée où ces messieurs terminent en slip avec une culotte sur la tête, voire sans slip du tout d'ailleurs.

Bref, vous l'avez compris, si l'on peut douter du côté sexy de ces demoiselles, leur côté « wild » n'est plus à prouver. Ceci dit, tout n'est pas rose dans le monde des Shibuya Girls. En effet, EGG signe là son dernier numéro après 49 mois de bons et loyaux services – les lectrices déçues devront donc se rabattre sur Cawaii, beaucoup plus (trop ?) sage.

Et ainsi, sur la couverture de cet ultime EGG, on peut lire : The Final Issue ... But EGG's Revolution Going On !. Alors soyez-en sûr, les Shibuya Girls n'ont pas dit leur dernier mot ...