karoshi 30 : densha de, go!

« Métro - Boulot - Dodo ». Même si vivre au Japon, c'est l'aventure, il reste tout de même quelques bonnes vieilles valeurs sur lesquelles on peut se reposer, et le doux ronron de la routine quotidienne demeure un ilôt rassurant au milieu des innombrables pièges de la jungle urbaine nipponne. D'ailleurs, avant même de tenter d'apprivoiser le réseau de petites ruelles tortueuses qui s'enfoncent dans la vrai ville, loin des grandes artères, on préfère sagement s'aventurer dans les couloirs balisés du métro, où les cartes et les indications en « rômaji » sont là en nombre pour venir en aide à l'occidental en détresse.

Et il faut bien avouer que, dans une ville où l'on ne peut avoir de voiture que si l'on possède un garage, où la notion de limitation de vitesse est étrangère à la plupart des conducteurs, et où, perversion ultime, on persite (à l'encontre du bon sens) à vouloir rouler à gauche, le métro est la seule solution pratique qui s'offre pour éviter de longues marches sur les trottoirs encombrés – parce que Tôkyô, c'est grand.

Enfin, solution pratique, c'est vite dit – d'aucuns pourront d'ailleurs témoigner que pour déménager un bureau, ce n'est franchement pas l'idéal. Mais sans forcément se mettre dans des situations extrêmes, on peut toujours, avec un minimum de mauvaise foi, trouver beaucoup à redire au système de transport en commun japonais.

Transport en commun. Vous l'aurez sans doute deviné, le plus important dans cette expression, c'est bien sûr « en commun ». Alors non, je n'ai toujours pas vu les pousseurs mythiques, mais il parait que j'y mets de la mauvaise volonté en ne voyageant pas sur les bonnes lignes. Pourtant, un simple tour sur la Yamanote (la ligne circulaire qui délimite le centre de Tôkyô) suscite systématiquement des questions sur les horaires de travail de tous ces gens qui se pressent dans votre dos (avec leurs coudes pointus, cela va sans dire) : quelle que soit l'heure, les rames sont toujours bondées, et trouver une place assise est aussi facile que de gagner au loto.

Ceci dit, debout, on peut se distraire en lisant (euh ... en essayant de lire, pour être plus exact) les publicités qui tapissent les murs, tout en donnant joyeusement de la tête dans les poignées qui pendent du plafond – visiblement destinées à des personnes à la verticalité fortement contrariée. Le tout agrémenté d'un contact (trop?) rapproché avec les japonais.

Par contre, assis, on peut apprecier les petits plus du confort ferroviaire à la japonaise. (Heureusement) climatisé en été, chauffé par le siège en hiver, on en vient presque à regretter de ne pas avoir cette faculté étonnante des japonais, qui s'endorment sitôt assis (parfois même debout) pour une courte sieste revigorante. Mystère qui demeure entier, la plupart d'entre eux réussit à se réveiller exactement à leur station d'arrivée. Je déconseille l'expérience aux occidentaux, croyez-moi, ça rate toujours.

Une fois à destination, s'orienter dans les stations relève d'un tout autre talent. Avec au moins une demi-douzaine de sorties entre lesquelles choisir, auxquelles il faut rajouter les correspondances le cas échéant ... le plus simple est souvent de demander son chemin à un employé, plutôt que d'essayer de comprendre les plans sans doute affichés là pour induire le passant en erreur.

Avec l'habitude, on finit tout de même par ne plus se perdre sur le trajet quotidien, et même à trouver (exploit !) la sortie adéquate quand un changement d'itinéraire se révèle nécessaire. Néanmoins, et même après une pratique intensive, la topographie de certaines gares résiste encore et toujours à l'entendement. Je recommande particulièrement Shinjuku, qui voit chaque jour trois millions de passagers se perdre entre 17 lignes de métro différentes. Pour ma part, la seule solution que j'ai trouvée pour ne pas m'y perdre, c'est de descendre à la station précédente, et de marcher un peu. Radical.

Mais s'il est vrai que l'on dort bien dans le métro japonais, il faut bien reconnaître que c'est un confort que l'on paie le prix fort. Le moindre ticket est à 160 yen (soit pas loin de 8F), sans aucune réduction possible – à moins que vous n'ayez moins de 8 ans. Bien sûr, il existe un système similaire à notre carte orange, mais avec une petite touche inimitable : le teiki (puisque c'est là son nom) est valable entre un et six mois et permet de faire un nombre illimité de trajets ... mais sur un itinéraire bien précis. Pas question d'aller batifoler ou de faire l'école buissonière avec, le teiki est réservé pour le boulot, rien de plus. Non mais. Et pour parfaire le tout, le teiki est cher – plus de 18,000 yen (presque 900 F) pour trois mois, et seulement pour un trajet de deux stations. Heureusement qu'il est remboursé ...

Dernier détail qui a son importance, le Japon croit beaucoup à la libre entreprise. Ce qui fait que, au lieu d'avoir une bonne grosse compagnie avec un monopole assurant simplicité et tarif unique à ses usagers, on a droit à deux compagnies principales avec tickets incompatibles et tarifications différentes, sans compter la demi-douzaine de compagnies supplémentaires qui assurent le transport en direction des lointaines banlieues.

Vous l'avez donc compris, prendre le métro à Tôkyô peut s'avérer être un vrai casse-tête ... chinois (ha ha ha ... désolé) – surtout pour un Français râleur et toujours près à se plaindre. Mais quand, sur le coup de cinq heures du matin, les traits tirés et les jambes lourdes, à moitié sourd d'avoir passé la nuit à se trémousser sur une piste de danse sur les pulsations d'une musique de sauvage, on oublie tous les désagréments du métro pour pouvoir (enfin !) rentrer chez soi. Et là, pour une fois, on pourrait s'endormir sur le champ.