karoshi 7 : en voiture !

Quand on parle de la vie à Tôkyô, la première image qui vient à l'esprit est celle d'un métro bondé, avec une armada de pousseurs en action, tentant de tasser encore plus des voyageurs décidément bien dociles. Après presque cinq mois passés dans la capitale nipponne, je suis bien au regret de devoir tuer ce mythe : d'accord, le métro aux heures de pointe n'est pas toujours très agréable – pas plus qu'à Paris. Mais à mon grand désespoir, toujours aucun pousseur en vue.

Ce qui m'étonne cependant, c'est que l'on parle autant des pousseurs et du métro, alors que l'on garde le silence sur les rues de Tôkyô, et plus particulièrement la conduite et les voitures. Mais heureusement, ne reculant devant aucun sacrifice, votre serviteur intrépide a donné de sa personne et est allé risquer sa vie pour vous ... Et c'est à l'occasion des multiples visites d'appartement que j'ai pu m'embarquer à l'assaut des rues de Tôkyô, à bord du paquebot blanc qui sert de voiture à la personne de l'agence qui s'occupe de nous.

On commence le parcours (du combattant, cela va sans dire) par un petit tour sur les grandes artères, histoire de profiter des embouteillages qui semblent ne cesser qu'au coucher du soleil – et encore. Le système des feux pour les piétons y est sans doute pour quelque chose. En gros, tous les feux du carrefour passent au rouge, et au lieu d'avoir un embouteillage de voitures, c'est un embouteillage de piétons qui envahit la place ainsi libérée. Pratique.

La voiture a beau être confortable, et munie des derniers gadgets électroniques (GPS, télévision, climatisation), on n'est quand même pas là pour y passer la journée. Résultat, pour accélérer le mouvement (du moins, c'est ce que nous croyons au départ), nous allons très bientôt quitter les boulevards encombrés, pour nous engouffrer dans une petite ruelle.

Pourquoi une petite ruelle ? Tout simplement parce qu'entre le grand boulevard à six voies et la petite ruelle à une voie, il n'existe pas d'autre option dans l'urbanisme Tôkyôite. Donc, c'est forcément dans une petite ruelle que l'on s'engouffre.

Et là, plus la peine de compter sur son sens de l'orientation. Dans quelques minutes, il ne servira plus à rien : impossible de trouver un tronçon de ruelle qui aille dans la même direction pendant plus de cent mètres. Ça tortille, ça serpente, ça monte et ça descend, suivant un plan tracé par un urbaniste bordélique et parkinsonien.

De toutes façons, je ne fais déjà plus tellement attention à notre destination supposée. Je suis bien trop occupé à écraser une pédale de frein fictive, et à serrer les dents dans les virages. Tout d'abord, je l'ai évoqué plus haut, les rues ne sont pas bien larges. Et mine de rien, manoeuvrer le paquebot en question dans ces ruelles tortueuses donnerait des cauchemars à n'importe quel candidat au permis.

Ceci, sans même mentionner les démarrages en côte (pente à 30%, où un escalier aurait sans doute été préférable), les marches arrière infernales avec 30 cm de marge de chaque côté, les virages en épingle ou les croisements épiques – rentrez les rétroviseurs !

Mais pour corser le tout, ces rues étroites n'ont pas de trottoirs. Donc tout ce qui se tient d'habitude à distance, se retrouve sur la route. Entre autres, les poussettes, les piétons, les vélos, les automobiles (mal) garées et les pylônes électriques. Et nous voilà slalomant joyeusement entre ces obstacles, à une vitesse bien au-delà du raisonnable.

Voici donc ce à quoi peut ressembler cinq cents mètres de conduite à Tôkyô (trajet effectivement suivi le Mardi 1er Décembre, dans Shibuya) :

– Démarrage qui nous colle aux sièges (et pourtant, c'est une automatique ...) ;

– Accélération dans la ruelle. On manque de justesse un petit vieux tout courbé, on rase une voiture garée sur le côté ;

– Violent coup de frein au carrefour (heureusement que j'ai mis ma ceinture, sinon je serais allé embrasser la boite à gants). On laisse passer le petit véhicule utilitaire qui venait d'en déboucher, et qu'on a failli emboutir ;

– Re-démarrage sur les chapeaux de roues. Il faut bien cela, la ruelle commence à grimper. On rate encore un piéton aventureux ;

– En haut de la côte, virage à angle droit vers la gauche. Ah, ben non, ce n'est pas le haut de la côte, puisque ça continue de grimper ;

– Dix mètres plus loin, virage à angle droit dans l'autre sens. Le pylône qui pousse au coin n'est vraiment pas loin de la portière ;

– On se retrouve nez à nez avec un gros 4x4. Sympa, il recule sur dix mètres pour nous laisser passer. On tourne à droite, et nous commençons à chercher à nous garer ;

– On se gare. Mal, bien sûr. En gros, il reste presqu'assez de place pour qu'une voiture passe. Presque. Mais c'est pas grave, ici, ils ont l'habitude. Rapidement, la dame de l'agence va chercher les clés de l'appartement ... et c'est reparti pour un tour.

Une heure plus tard, nous n'avons toujours pas écrasé qui que ce soit, la carrosserie est intacte, et nous sommes (presque) à destination. De ces trois miracles, je ne sais toujours pas lequel est le plus incroyable ...

Annexe rapide : ces Japonais dans leurs drôles de voitures ...

J'ai beaucoup parlé des rues de Tôkyô et de leur charme tout particulier (surtout quand on est en voiture, en train de se demander si l'on va terminer entier), mais il me reste encore à décrire les véhicules étranges que l'on vient à croiser ici.

Bien sûr, les voitures japonaises sont en majorité, et pour ce qui est des berlines, leur design est sans surprise pour un oeil européen. Par contre, les petits modèles et les utilitaires sont assez curieux, généralement très étroits et hauts de plafond, avec un design plutôt anguleux – je doute que ceux-ci aient une quelconque chance sur un marché occidental ...

Ce qui est sans doute le plus surprenant, ce n'est pas tant les voitures japonaises en elles-mêmes, mais la profusion de voitures "de luxe" que l'on croise au fil des rues. Nous ne remarquons plus la petite Z3 de BMW, le coupé Mercedes nous laisse indifférents (même si le SLK attire encore le regard), et il ne se passe pas un jour sans que nous ne voyions une Jaguar, une Porsche ou une Ferrari (nous avons même aperçu quatre F40 et une Lamborghini).

Enfin, il nous semble également avoir vu une Twingo, et une Renault 5. Mais très franchement, on n'en est plus très sûrs ...