karoshi 59 : bonne étoile ?

Ce n'est pas que je sois superstitieux, mais il faut bien reconnaître que l'idée de faire un karoshi report un Vendredi 13 ne m'enchantait pas particulièrement. Et je dois avouer qu'un moment, j'ai envisagé la possibilité de m'offrir une semaine de repos, car on ne sait jamais ce qui peut arriver quand les astres sont contre vous – le ciel peut vous tomber sur la tête, ou pire encore, le plafond, comme les habitants de la région de Tottori ont pu le constater la semaine dernière.

Néanmoins, j'étais tout content d'avoir réussi à reprendre un rythme de parution hebdomadaire, et j'ai donc décidé de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Toujours est-il qu'un homme averti en vaut deux, et j'ai préféré m'enquérir de ce qui pouvait m'attendre en cette journée funeste.

Un petit tour du côté de mon horoscope a commencé par me rassurer. Pas la peine d'aller chercher trop loin, puisque mon programme télé est bien fait et me propose à chaque page ma bonne fortune pour la journée suivant trois critères – Amour, Chance, Argent. Un petit rond dans chaque cas, autant dire que c'était plutôt positif. Bien sûr, pas autant que s'il y avait eu deux cercles formant une cible en modèle réduit, où là j'avais tout intérêt à aller jouer au loto, mais bien mieux que le triangle de mauvais augure ...

Ceci dit, histoire d'être couvert sur tous les côtés, j'ai aussi regardé la télévision ce matin, où (dans une émission à la présentation 100% féminine) de charmants petits crocodiles sont venus me rassurer en m'indiquant que tout allait bien se passer – décidément, il fait bon d'être Balance (ou Tenbin-za, dans le texte) aujourd'hui.

J'allais donc sortir de chez moi l'esprit tranquille et le coeur léger, quand un doute terrible s'est emparé de moi. Je me suis rappelé que j'étais en Asie, et peut-être que notre horoscope occidental n'avait pas autant d'efficacité ici que chez nous. Décidé d'avoir recours à quelque coutume (plus) régionale, je me suis donc tourné vers le Zodiaque Chinois. Et là, j'appris avec un certain étonnement que j'étais « Vache Noire » né dans l'année du « Cochon Blanc », que mes parents étaient « Poulets Rouges » et que mes enfants seraient « Rats Verts ».

Mais chou blanc en définitive, car il se trouve que ce type d'Astrologie est généralement utilisé pour tester la compatibilité des gens entre eux (sachez donc que je suis censé bien m'entendre avec les Moutons et les Lapins, mais pas avec les Serpents) ou pour vous signaler vos années de chance durant le quart de siècle à venir. Mais rien qui m'informât précisément sur le programme du Vendredi 13 Octobre 2000.

Les méthodes ancestrales ne m'apportant pas de réconfort, j'ai un instant pensé me tourner vers les techniques modernes, bénéficiant des dernières innovations en matière de divination.

Et d'aller voir si, par quelque heureux hasard, je n'avais pas la réussite dans le sang. Car, voyez-vous, on en connaît depuis 1971 l'importance, révélée dans le best-seller l'honorable monsieur Mori Masahiko – « Comprendre les affinités grâce aux groupe sanguins ». A la mort du père, le fiston a pris la suite de ces édifiantes recherches, totalisant au final plus de 65 livres sur le sujet et des ventes de près de 6 millions d'ouvrages au Japon.

Puisque 75% des japonais y croient et ne sauraient être dans l'erreur, j'ai donc découvert que mon sang AB me donnait un esprit critique et analytique, tout en faisant de moi un être parfois se sentant éloigné de la société mais soucieux de son harmonie. Révélation édifiante, mais qui n'apportait pas de réponse à la question qui me préoccupait.

Je nourrissais encore un peu d'espoir pour la dernière lubie à la mode, le Dôbutsu Uranai ou la divination par les bêtes. Choisissant de dépoussiérer un peu le Zodiaque Chinois par trop traditionnel, le livre en question a réussi à séduire plus d'un million et demi de Japonais en six mois. Mais même s'il est vrai qu'il est plus drôle d'être Panthère Noire que Sanglier, il y était plus question de personnalité et des méthodes pour trouver l'âme soeur (Lion ou Singe, je suis maintenant prévenu) que de calmer à mes angoisses quand à ce jour funeste.

Foin de modernité, je décidais de me revenir à la tradition, testée et approuvée par des générations de japonais. Mais malheureusement, je n'avais pas le temps nécessaire pour aller chercher quelque « Counsering » (sic) auprès des spécialistes en cartomancie ou en chiromancie que l'on trouve un peu partout dans Tôkyô, que ce soit à leurs bureaux très professionnels dans les galeries marchandes, ou derrière leurs petites tables installées en pleine rue à la nuit tombée, éclairée d'une petite lanterne de papier.

Je dus également faire une croix sur la numérologie locale qui se base sur le nombre de traits des kanji qui compose son nom – et qui ne peut donc pas s'appliquer à mon cas, gaijin que je suis.

Je ne donnais qu'un coup d'oeil rapide au Feng-Shui, cet art divinatoire traditionnel chinois qui se base sur les cinq éléments qui sont sensé gouverner notre vie – le Feu, la Terre, l'Eau, le Métal et le Bois. J'appris au passage qu'aujourd'hui serait pour moi une journée d'Eau, mais j'avoue que j'avais des doutes quant à l'efficacité d'un système développé par des paysans chinois il y a 50,000 ans pour répondre à mes interrogations du jour.

Je finis enfin par me résoudre à prendre un O-Mikuji – ce que l'on appelle aussi les Fortune Cookies, mais qui au Japon se passent de cookies. On en trouve dans beaucoup de temples, et il suffit (moyennant une obole symbolique) de tirer une baguette numérotée de l'un des étuis octogonaux. Pour chaque numéro, il y a un petit tiroir renfermant des extraits du I Ching, le Livre des Transformations – ce qui permet au pèlerin inquiet de se rassurer ou de trouver quelque conseil.

En réponse à mes interrogations existentielles, ce fut le 20 qui sortit – Kuan, qu'une petite phrase en anglais vint expliquer :

« Contemplation. The ablution has been made,

But not yet the offering.

Full of trust they look up to him. »

Je restais un moment perplexe – et pas franchement rassuré. Finalement, et faute de mieux, je décrétais que ma première impression était la bonne et décidais d'écouter mon horoscope traditionnel – lequel, rappelez-vous, m'assurait une certaine sécurité pour la journée. Et je partis travailler.

Le problème, c'est que préoccupé de savoir ce que l'avenir me réservait, j'ai oublié de consulter l'une des méthodes les plus scientifiques et les plus précises, dont l'efficacité au Japon n'est plus à prouver. Et, levant un regard inquiet vers le ciel, je regrette maintenant de ne pas avoir pensé à regarder la météo ce matin – parce qu'après une semaine de grand beau temps, les nuages sont bas et gris, il y a de grandes chances qu'il pleuve et je n'ai pas emporté de parapluie. Décidément, ce Vendredi 13 commence mal ...