karoshi 50 : star-system

Dans le paysage télévisuel japonais, il est deux ou trois émissions qui exercent sur moi une fascination indéniable, et dont je suis avec beaucoup d'assiduité chaque nouvelle livraison. Ainsi, tous les dimanches soirs, je me retrouve sur TV Tôkyô pour Asayan – une émission qui nous fait découvrir les coulisses du succès, et expose aux yeux de tous les arcanes de la naissance d'une star.

Au travers de reportages au suspense savamment distillé, on nous invite à suivre quelques jeunes pousses qui s'aventurent sur la longue et difficile route qui mène (peut-être) au succès. Et c'est là que la magie de la télévision se met en marche. Car tous ces inconnus en quête de reconnaissance, touchés par la grâce des caméras, vont soudainement se retrouver célèbres – et parfois même, le rester.

L'exemple le plus remarquable en est sans aucun doute le « girls' band » Morning Musume – groupe à géométrie variable, mais au succès stabilisé dans les hauteurs des classements des meilleures ventes. L'histoire commence fin 1997, quand cinq jeunes filles (alors âgées de 14 à 24 ans) sont sélectionnées pour former le groupe.

Avec sa dramatique habituelle, l'émission suit alors toutes les étapes de l'enregistrement de leur premier single, ainsi que l'entraînement drastique que subissent les membres du nouveau groupe – séances de chant et cours de danse intensifs, et tout juste trois heures de sommeil par nuit.

Il faut dire que les producteurs d'Asayan ont clairement fixé l'objectif de ces demoiselles : soit elles arrivent à vendre plus de 50,000 singles en cinq jours, soit leur carrière s'arrête là. Pour notre plus grand malheur/bonheur (rayez la mention inutile), à grand renfort de promotion sur le terrain, elles réussirent à relever le défi – et Morning Coffee fut « sold out » en quatre jours, battant un record à l'occasion.

Depuis, la formule (testée et éprouvée) continue à séduire les foules : de petits minois plutôt mignons, des mélodies pleines de bonne humeur (à défaut d'originalité), des chansons faciles à retenir (la moitié des paroles étant constituées de « Hey hey hey », « Wouah wouah » et autres « Iya iya iya yeaah ! ») ... le tout assorti d'une couverture médiatique particulièrement performante.

Résultat, les Morning Musume se retrouvent immanquablement en tête des charts avec une régularité exemplaire. En tout juste deux ans, nous en sommes au dixième single et au troisième album – et ce, sans compter les multiples projets annexes qui font de Morning Musume une affaire plus que rentable.

En effet, non content d'avoir entre les mains un « super-groupe », le producteur Tsunku en profite pour monter de temps en temps un « mini-groupe » avec seulement quelques membres, histoire de sortir un single par-ci ou un album par-là. Ça ressemble à Morning Musume, il y a des visages de Morning Musume, mais ça n'est pas Morning Musume ... ce qui n'empêche pas Tampopo et autres Puchi-Moni de s'illustrer tout à fait honorablement.

Mais tout cela ne vaut pas la dernière idée en date des esprits machiavéliques qui sont derrière Asayan. En période de préparation du troisième album du groupe, l'actualité était un peu tristounette – d'où la résolution louable de vouloir y mettre un peu de couleurs.

A partir de trois groupes de l'écurie Zetima (les Morning Musume bien sûr, mais aussi Taiyô & the Cisco Moon ainsi que les Coconuts Musume, ne me demandez pas où ils vont chercher des noms pareils), les voilà donc qui constituent les Ao-iro 7, les Ki-iro 5 et les Aka-gumi 4 – respectivement les « 7 Bleues », les « 5 Jaunes » et les « 4 Rouges ».

La règle est simple : chaque groupe enregistre un single, fait une vidéo (avec l'incontournable chorégraphie), les trois disques sortent en même temps le 8 Mars, et que le meilleur gagne ! Le meilleur, dans ce cas précis, étant déterminé (ô suprise !) par les ventes de disques de la première semaine.

Comme d'habitude, Asayan suit tout cela de très près, filmant les coups de barre et les baisses de moral, disséquant les critiques (pas toujours tendres) de Tsunku, faisant monter la pression au fil des semaines – avec des questions aussi essentielles que « Gotô Maki va-t'elle se remettre de son rhume ? » qui vont tenir en haleine le public jusqu'au dernier moment.

Le plus fascinant dans l'histoire, c'est que ça marche. Car malgré l'aspect éminemment commercial de l'opération, avoué et revendiqué, et bien que l'on ait entendu les-dites chansons jusqu'à la nausée durant un mois, le public va se ruer chez les disquaires pour acheter les singles à leur sortie – consacrant la victoire des « 4 Rouges » sur les « 5 Jaunes » et les « 7 Bleues », arrivés respectivement deuxième, troisième et quatrième des meilleures ventes de la semaine.

En ce qui me concerne, j'aurais plutôt voté pour la chanson des « 5 Jaunes », mais vous savez, les goûts et les couleurs ... Par contre, on imagine sans peine les responsables de l'opération se frottant les mains, heureux d'avoir écoulé plus de 75,000 singles la première semaine toutes couleurs confondues, et préparant la sortie de l'inévitable compilation ...

Depuis, si l'on peut dire, les choses sont rentrées dans l'ordre et ces demoiselles ont regagné leurs groupes respectifs. « On ne change pas une équipe qui gagne », mais rien n'empêche de la renouveler. Toujours devant les caméras d'Asayan, Morning Musume a recruté quatre nouveaux membres, puis l'une des « anciennes » a peu après décidé de mettre un terme à sa carrière, à l'âge (canonique) de 16 ans et demi – même si le terme utilisé pour l'événement était « obtenir son diplôme », comme si l'on venait de quitter l'école.

Le nouveau single – Happy Summer Wedding – est désormais sur toutes les ondes, les dix frimousses s'affichent dans le métro pour soutenir l'équipe nationale de volley féminin en vue du Championnat du Monde, et décidément on ne nous épargnera rien, puisque le film est pour bientôt. Sans aucun doute, les « filles du matin » ont encore de beaux jours devant elles ...