karoshi 48 : kyôto en avril

On a tendance à l'oublier, mais il est facile de constater que la plupart du temps, les vacances, ça fatigue. La preuve, c'est que pour partir faire du tourisme un week-end à Kyôto, me voilà en train de me lever un Samedi plus tôt qu'en semaine, afin d'aller attraper un Shinkansen bien (trop) matinal.

Remarquez, il y a tout de même un point positif : dans le TGV nippon, on peut continuer sa grasse matinée, et il faut avouer que l'on y dort plutôt bien. En effet, les fauteuil sont très larges, même en seconde, et tous font face au sens de la marche. Cela ne semble être qu'un détail, mais cela prend toute son importance lorsque l'on découvre que, plutôt que de faire faire un demi-tour au train lorsqu'il arrive au terminus, un système mécanique aussi astucieux qu'insoupçonné permet à un employé habile de faire pivoter chaque rangée sur elle-même pour se retrouver dans la bonne direction. Epatant.

Ceci dit, même si on est installé confortablement, ce serait un peu bête de dormir sur tout le trajet. Non pas qu'il y ait grand'chose à voir dans la banlieue de Tôkyô, mais les choses changent un peu alors que l'on s'éloigne. A quelques (rares) moment, on pourrait presque apercevoir un bout de campagne japonaise entre deux villes.

Mais sans conteste, le point fort de ce voyage est l'arrêt à Mishima. Pour notre part, ce fut un point fort rétrospectif, puisqu'au lieu de nous réjouir de pouvoir admirer sa majesté le Fuji tout auréolé de brume, nous avons passé quelques minutes dubitatives à nous demander si, oui ou non, c'était là le « vrai » Fuji. Vérification faite carte à l'appui, vous pouvez me faire confiance, c'est le bon.

(je profite de l'occasion pour signaler que je suis sans doute poursuivi par un esprit malin, vu qu'à chaque occasion où je me suis rendu dans un endroit d'où l'on pouvait avoir une vue imprenable sur le Fuji, il était entouré d'une purée de pois de première qualité. Et là, alors que je pouvais le contempler tout mon saoûl, le doute me tenaillait et je n'ai pu en profiter comme il se devait)

Trois heures plus tard, c'est l'arrivée à Kyôto. Disons-le tout de suite, Kyôto n'est sans doute pas l'endroit que je choisirais pour passer mes vacances. En dehors de sa (superbe) gare flambant neuve, il semble que la ville ait été construite dans les années 60, et qu'on l'ait laissée vieillir pendant les décennies qui ont suivi. La plupart des bâtiments sont en effet des bâtisses d'un ou deux niveaux, aux murs recouverts d'un crépi (autrefois) orange et fatigué, et dont les volets noirs et toujours clos dégagent sinon de l'hostilité, du moins un profond ennui.

Mais rassurons-nous, ce n'est pas pour admirer le paysage urbain que nous venons de faire près de 600 kilomètres. Capitale déchûe qui ne peut plus que rêver à sa grandeur disparue, Kyôto, cet écrin défraîchi, renferme des trésors. La chose devient vite apparente alors que l'on part à l'assaut de la ville en empruntant les bus municipaux : il y a là des temples à tous les coins de rue. Des petits et des immenses, des remarquables et des anodins, des célèbres et des inconnus. Des temples, à en avoir la nausée – ou presque.

D'ailleurs, lorsque l'on considère le menu de ce week-end Kyôtoïte, il faut se rendre à l'évidence qu'il va falloir faire un choix dans la carte, et ce d'autant plus que les temples à ne pas manquer sont éparpillés aux quatre coins de la ville, et que ceux-ci respectent scrupuleusement des horaires de banquier – passé cinq heures, plus question de jouer au touriste.

Pour notre part, le programme fut le suivant : Samedi après-midi, nous commençons par le Sanjûsangendô. 130m de long, un bon millier de statues, c'est aussi beau que c'est impressionnant. Et en plus, il n'y a personne.

Nous continuons avec le Kiyomizudera, auquel on accède en longeant de petits canaux entourés de cerisiers en fleur. C'est déjà beau, mais il y a tout même un peu de monde, et puis ça monte sacrément. Normal, le Kiyomizudera est accroché à flanc de montagne, ce qui permet d'avoir une vue d'ensemble de Kyôto à partir de ses terrasses. Mais là n'est pas la raison de cet attroupement indiscipliné (un comble au Japon), où l'on découvre que les dames japonaises d'un âge respectable savent être tout aussi resquilleuses que les premiers français venus.

En effet, le Kyomizudera recèle une particularité, un trésor devrait-on dire : une statue de la déesse Kannon qui n'est exposée aux regards de la foule que tous les trente-trois ans. Bien sûr, coup de chance pour nous, c'est cette année (de Mars à Septembre) que ça tombe.

Pour résumer la visite : on est venu, on a vu, on est déçu. Même si cela nous permet de constater que les gens qui ont écrit le guide touristique n'étaient pas là il y a 33 ans (contrairement à ce qui était indiqué, la déesse n'a pas onze têtes mais vingt bras), la statue en question ressemble furieusement à celles que l'on a pu contempler tranquillement au Sanjûsangendô. Bref, beaucoup de bruit pour rien.

Beaucoup de bruit aussi dans le Maruyama Kôen, mais cette fois-ci il y a une bonne raison : les cerisiers sont en fleur, et les Kyôtoïtes sont sous les cerisiers, et arrosent copieusement l'événement. Et nous, nous prenons des photos, parce que les cerisiers en fleur c'est joli. Lorsque, un peu plus tard, on regarde les photos, c'est toujours très joli, mais cela devient un peu lassant quand on se rend compte que l'on a dû prendre à peu près tous les cerisiers en fleur que l'on a pu croiser, et sous toutes les coutures.

Le soir, nous nous promenons dans Gion, le quartier traditionnel au centre de Kyôto, où l'on peut apercevoir furtivement des maiko (apprenties-geisha) en kimono resplendissants. Mais comme le dernier bus est vers 21h30, que l'on a beaucoup marché et que le programme du lendemain risque d'être chargé, nous rentrons nous coucher tôt.

Et en effet, le Dimanche recèle un morceau de choix, avec la visite des (mythiques) Pavillons d'Argent et d'Or. Et là, pas de doute, c'est beau. C'est bien simple, les autres visites « à voir absolûment » pâlissent en comparaison (comme le Daitokuji, grande enceinte silencieuse au sein de laquelle se trouvent regroupés 23 temples), voire même déçoivent – comme c'est le cas pour le Ryôanji, avec son célèbre jardin zen.

Mais là, l'ancien adage qui dit qu'une image vaut mieux qu'un long discours prend tout son sens. Je ne puis que vous conseiller de regarder les photos, plutôt que d'essayer maladroitement de vous décrire tout cela.

Enfin, nous terminons cette journée par un tour au Nijô-jô, château médiéval qui servait de résidence au daimyô. Cela change un peu des temples (ce qui n'est pas désagréable), et en plus c'est très ludique : on y trouve en effet un parquet dit « rossignol », qui couine musicalement à chaque pas. Bien sûr, l'effet est un peu raté quand on se trouve à faire la visite en compagnie d'un groupe de touristes chinois, dont la démarche des plus légères a tôt fait d'écraser les rossignols, mais on s'amuse tout de même.

Pour ceux qui s'interrogeraient de l'utilité d'un parquet qui informe toute la maisonnée de vos expéditions nocturnes au petit coin, il paraît que c'était effectivement là le but, et que cela permettait de se défendre efficacement contre les tentatives d'assassinats. Pas bête.

Il commence à se faire tard, nous revenons vers la gare, où nous allons devoir attendre notre Shinkansen pour revenir vers Tôkyô. Le week-end est fini, nous sommes bien fatigués, et la dernière image que nous allons emporter de la ville, c'est la (superbe) tour de Kyôto, croisement réussi entre un phare côtier et un poireau géant, élégamment posée au sommet d'une sorte de casino vétuste. Peu importe, finalement – désormais, nous savons que derrière ces façades tristes, Kyôto conserve un coeur d'Or.