karoshi 46 : cache-sexe et petit-bateau

Il y a deux semaines, alors que j'attendais la fin du séchage de ma lessive dans la laverie automatique de mon quartier, je suis tombé sur une affiche pour le moins édifiante : le propriétaire de l'endroit informait ses honorables clientes de faire attention aux individus louches, car des vols de sous-vêtements avaient récemment eu lieu.

Vous vous en doutez, j'ai alors ouvert l'oeil afin de pouvoir observer un tel phénomène, histoire de compenser l'une de mes grandes déceptions depuis mon arrivée au Japon. En effet, malgré quelques incursions dans Kabukichô, le quartier « chaud » derrière Shinjuku, je n'ai toujours pas réussi à trouver un distributeur de petites culottes (garanties utilisées).

Pourquoi cette fascination nipponne pour les petites culottes, me direz-vous ? Voyez-vous, la loi au Pays du Soleil Levant est formelle : selon l'article 175 du Code Criminel Japonais, les poils pubiens et les parties génitales adultes ne peuvent être montrés, et la représentation de bas-ventres se touchant est interdite. (pour les puristes, il y a deux-trois petites particularités supplémentaires, mais je préfère les renvoyer à l'intéressant article Sex in Manga qui retrace l'histoire récente de la censure au Japon)

Résultat, depuis son instauration en 1946, cette législation a sans doute opéré chez les japonais (par un effet pervers) un report de charge érotique de l'objet que l'on ne peut voir (le sexe) vers la culotte, elle tout-à-fait montrable.

Ceci étant, je tiens à rassurer tout de suite ceux qui s'inquièteraient de l'avenir d'un pays dont les habitants auraient une libido tournée uniquement vers la lingerie féminine. Les japonais continuent à s'intéresser à la chair, et les censeurs ont encore du travail.

Il y a quelques mois d'ailleurs, on s'enquérait de mon avis d'occidental sur la violence dans les jeux vidéos japonais. J'avais répondu que je trouvais beaucoup plus choquant la quantité de manga pornographiques que l'on pouvait trouver dans le moindre combini, entreposés sur les étagères les plus proches du sol – à portée des enfants, alors que nos buralistes auraient plutôt tendance à leur choisir les emplacements les plus élevés.

Un examen de ces périodiques permet de constater les conséquences d'une censure portant sur les représentations et non les thèmes : à côté de pornographie plus « normale », on trouve également des scènes zoophiles ou sado-masochistes au dernier degré. Et ce, en toute légalité.

Ceci dit, il faut se rendre à l'évidence que chacun respecte la loi avec des degrés divers. Certains magazines se font fort de l'appliquer à la lettre, et leur pages sont parsemées de personnages dont la région pubienne reste d'une blancheur virginale, les scènes explicites devenant de fait d'étranges séances de mime.

D'autres publications ont recours à une bande (sensément) opaque pour (supposément) masquer les zones incriminées et préserver les bonnes moeurs. Cependant, on constate parfois que la bande en question est plus grisée qu'opaque, et que ses dimensions sont sans doute beaucoup trop réduites (au vu de la physionomie des personnages) pour qu'elle cache effectivement quoi que ce soit. Bref, on voit tout ce qu'il y a à voir, mais la morale est sauve. De justesse.

Pour les films pornographiques, par contre, pas question de clémence ou d'à-peu-près. Le moindre petit bout de sexe se voit irrémédiablement censuré, systématiquement mosaïqué, impitoyablement réduit en bouillie visuelle. Et lorsque le réalisateur se décide pour un gros plan anatomique (grande spécialité de ce genre de films), c'est tout l'écran qui se couvre de gros carrés couleur chair, où l'on peut vaguement discerner du mouvement. Du porno sans « graphique », en quelque sorte.

Puisque l'on ne peut trouver de grand intérêt à ces images dépouillées de leur charge défoulatoire, le spectateur se voit obligé de reporter son attention sur le scénario et le jeu d'acteurs. Deux points forts du cinéma X, comme chacun sait. Le film se transforme alors en un objet étrange et malsain, ponctué par les cris d'actrices dont on ne sait s'ils sont dûs au plaisir ou à la douleur.

Cette pratique de la mosaïque n'est cependant pas restreinte aux films que l'euphémisme qualifie de « pour adultes », et il arrive que le visionnage d'un film tout ce qu'il y a de plus « normal » soit parasité par l'application intempestive d'une grosse zone floue pour cause de nudité inconvenante. Assez désagréable, il faut le dire.

Il reste néanmoins un domaine où la mosaïque ne peut agir – et pour cause. J'ai nommé les revues en provenance de l'extérieur, où de jeunes femmes allongent leur nudité sur du papier glacé pour le plaisir des yeux (c'est une vision poétique des choses ...). Fort heureusement, les douaniers japonais ouvrent l'oeil pour empêcher d'une main de fer tout traffic illicite de matériel jugé obscène (les autres « substances » interdites étant la drogue et certains produits alimentaires), alors qu'une section spéciale du Ministère s'occupe de rendre convenables les « importations régulières ».

Dans ce dernier cas, la solution du « coup de marqueur » sur les zones offensantes a été abandonnée (après tout, on pouvait encore discerner quelque chose par transparence) au profit du grattage à la lame de rasoir. Il y a donc, dans l'administration japonaise, toute une section de fonctionnaires (forcément) de confiance dont le travail (épanouissant, cela va sans dire) est de gratter consciencieusement toutes les entrejambes exposées.

On imagine ensuite les-dits fonctionnaires discuter travail lors de la pause de midi, échanger quelques anecdotes croustillantes autour d'une bière le soir, avant de rentrer à la maison retrouver leur femme qui leur demandera sans doute : « alors, comment s'est passée ta journée ? ». Surréaliste.

Mais l'on peut se faire du souci pour l'avenir de ces fonctionnaires très spéciaux. En effet, la censure japonaise est en train de s'assouplir, vu qu'en 1996, la représentation des poils publiens est devenue tolérée. Les nouveaux films bénéficiant de cette clémence affichaient alors haut et fort un « On voit les poils ! », et l'on voit mal comment le plus réticent des consommateurs aurait pu résister.

De là à ce que la fascination des japonais pour les sous-vêtements féminins ne soit plus qu'un souvenir pittoresque, il n'y a qu'un pas. Si je veux avoir une chance de mettre la main (façon de parler) sur un distributeur de petites culottes, il va falloir me mettre activement en chasse. Alors, pas le choix, le week-end prochain, direction les quartiers chauds. La recherche passe avant tout ...

Au moment où j'ai rédigé cette chronique, je n'avais pas réussi à localiser le texte exact du fameux article 175. Néanmoins, j'étais tombé à plusieurs reprises sur les éléments que l'on a l'habitude d'entendre (notamment l'interdiction de représenter les parties génitales), éléments qui étaient alors systématiquement assimilés à l'article 175 lui-même.

En réalité, il se trouve qu'il n'en est rien. Après pas mal de recherches, voici une précision sur le contenu de l'article 175 :

Article 175 of the Criminal Code Law No. of 45 (1908) provides:

« A person who distributes or sells and obscene [waisetsuna] writings, pictures, or other objects or who publicly displays the same, shall be punished with imprisonment at forced labor for not more than two years or a fine of not more than disregard yen or a minor fine. The same applies to a person who possesses the same for the purpose of sale. »

Bref, rien d'explicite sur ce qui est considéré comme obscène, juste une loi qui indique que la distribution ou la vente de matériel obscène est interdite. Néanmoins, il est à noter que :

In addition to Japan's Criminal Code, the Customs Standards Law and local youth protection ordinances function to regulate pornographic material. Under the Customs Standards Law, Japan prohibits or restricts (for example, requesting cuts or use of obscuring technology in foreign­produced films) the import of « written material and pictures harmful to public order and public morals », including materials defined as obscene by the Customs Bureau.

Par conséquent, comme le texte de l'article 175 ne donne pas de définition, est censurable tout ce qui est considéré comme contraire aux bonnes moeurs. Ce qui conduit à la situation actuelle, c''est-à-dire une censure établie par l'usage et les habitudes (notamment du Bureau des Douanes), évoluant dans le temps.

On pourra citer à ce sujet la censure qui portait sur la représentation des poils pubiens, et qui a été levée autour de 1995-1996, suite au succès d'un livre de photographies « artistiques » – où l'on « voyait les poils », bien sûr.