karoshi 42 : she loves me, yeah yeah yeah !

Cela est bien connu, la société japonaise ne pratique pas particulièrement l'égalité des sexes. Pour seul exemple, on pourra se référer à la difficile légalisation de la pillule en Juin de l'année dernière, après plus de neuf ans de délibération avec le Ministère de la Santé – curieusement, la procédure ne fut qu'une formalité pour le Viagra, adopté en moins de six mois.

D'aucuns (de mauvais esprits, sans doute) avaient fait remarquer que la Diète japonaise était presque entièrement constituée de vieux monsieurs, et qu'il fallait peut-être aller chercher là la cause de tels atermoiements – et d'un tel enthousiasme. (Aujourd'hui encore, la pillule contraceptive ne peut être obtenue que sur ordonnance dans des cas bien particuliers, et n'est pas remboursée par la couverture sociale. Tout cela au nom de la préservation de la moralité de la nation, pour reprendre les mots du gouvernement japonais)

Dans un pays où existe encore ce genre d'attitude sexiste et rétrograde, le mois de Février recèle une surprise, presqu'une anomalie. Car au Japon, pour la Saint-Valentin, on n'offre pas des fleurs à sa bien-aimée. Non non non. Le 14 Février et ce jour-là seulement, ce sont ces demoiselles qui, dans une étrange inversion des rôles, vont offrir des chocolats à l'élu de leur coeur. Et ça, c'est plutôt sympa ...

L'idée en revient à un chocolatier Russe de Kobe. Le bon monsieur, répondant au doux nom de Valentin Morozoff, était venu s'installer au Japon en 1931, histoire d'initier les habitants de l'archipel aux délices du chocolat de luxe. Mais le cher Valentin, commerçant s'il en est, décida en 1936 d'importer la tradition occidentale liée à sa fête, en l'adaptant quelque peu à ses intérêts propres.

Et il faut bien se rendre à l'évidence que, soixante ans plus tard, les japonaises ont totalement adopté cette manière de faire – bien aidées en cela par les magasins. En effet, sitôt les décorations de Noël enlevées, vers le 15 Janvier, voici qu'arrivent les décorations de la Saint-Valentin. Et toutes les vitrines de se parer de coeurs de tailles et de couleurs diverses, avec une prédilection pour le rose et ... le chocolat, bien sûr.

Plus étonnant encore est l'assortiment de cartes que l'on vous propose pour envoyer les petits mots doux de circonstance. Car si la symbolique d'une carte couverte de coeurs (même estampillés Coca-Cola) m'apparaît aussitôt, j'avoue rester beaucoup plus perplexe devant la photo d'un amoncellement de gâteaux (forcément) au chocolat.

Cette « tradition » s'agrémente d'un aspect beaucoup plus pragmatique. En effet, les employées en profitent pour offrir à leur supérieur des Giri Choco (« Chocolat du Devoir », littéralement), afin de s'attirer leurs bonnes grâces. C'est toujours ça de gagné ...

Mais tous les chocolats offerts ne relèvent pas du devoir – et la publicité vient renforcer cette image. Ainsi, accompagné du slogan « Allez les filles ! », le chocolat Meiji nous montrait un pauvre jeune homme prenant la fuite devant la charge de ses (trop) nombreuses admiratrices, toutes armées d'une plaquette.

Dans une émission animée par les London Boots (deux joyeux lurons dont je vous reparlerai sans doute), un animateur parcourait les rues à la recherche d'un jeune homme séduisant, à qui une quinzaine de demoiselles venaient, une par une, déclamer leur flamme. Quinze demoiselles qui, avant de profiter du 14 Février pour offrir des chocolats, en avaient visiblement beaucoup consommé, et qui, non contentes d'avoir un coeur « gros comme ça », avaient le reste à l'avenant (du genre, 1m58 et 82kg pour un généreux 93-68-102). La conclusion de l'émission étant que, même lorsque l'on essuie des refus, il reste toujours le chocolat pour se consoler ...

Ceci dit, si la Saint-Valentin déchaîne les passions, il est à craindre qu'elles ne soient qu'éphémères. Et alors que les décorations de Noël continuaient à illuminer les nuits du début du mois de Janvier, les coeurs des vitrines n'ont pas survécu au 14 Février – et le 15 au matin, plus aucune trace ...

Dans l'espoir de prolonger la fête, les chocolatiers ont tenté d'instaurer le White Day, un mois jour pour jour après la Saint-Valentin. L'idée était qu'à cette occasion, les messieurs ayant reçu des chocolats rendaient la politesse à ces dames. Mais (curieusement ?) la coûtume n'a pas rencontré un franc succès, et la plupart des demoiselles attendent toujours.

Quant à vous, messieurs les occidentaux, si jamais vous avez malencontreusement oublié que Lundi dernier était le 14, vous pourrez toujours vous défendre en dégainant ce Karoshi Report, montrant preuve à l'appui que cette année, vous aviez décidé de fêter l'occasion « à la japonaise ». Par contre, je ne garantis aucunement l'efficacité de cette ligne de défense, et je ne peux vous conseiller qu'une chose : n'oubliez surtout pas son anniversaire ...