karoshi 36 : just move it

Après un week-end passé sur un salon de jeu vidéo, dans une ambiance digne des pires boites de nuits ... (Surpopulation oppressante, niveau sonore insoutenable, et pour couronner le tout, des hôtesses en tenue légère à tous les coins de stand, ce qui rend plus difficile encore notre mission – parce que, il ne faut pas l'oublier, ça a beau être du jeu, on est là pour travailler. Si si.)

Après un début de semaine sur les rotules puisque le week-end ne s'est pas montré très reposant, assorti de quelques joyeusetés locales ... (pluie diluvienne suite à un passage de typhon dans les environs, et découverte de l'efficacité toute relative des services de l'immigration pour renouveller son visa)

Après tout cela, donc, je pensais pouvoir terminer la semaine en roue libre, endormi les yeux ouverts devant mon petit écran, à attendre sagement le vrai week-end, celui où l'on se lève tard et où l'on oublie de faire la lessive, celui que l'on commence avec plein de projets et qui n'est jamais assez long pour tous les réaliser. Mais il était écrit qu'il ne saurait être ainsi, et sur le chemin du repos bien mérité se dressait l'enfer d'un Mercredi consacré ... au Déménagement de l'Apocalypse.

Ce qui est bien, quand on est expatrié, c'est qu'on prend l'habitude de se serrer les coudes entre exilés en milieu hostile. Et même si la perspective de jongler entre les frigos et les machines à laver durant un après-midi ne suscite pas chez moi une joie immodérée, c'est de bonne grâce que je veux bien prêter mes petits bras musclés à cette entreprise à charge de revanche.

Objectif de la journée, donc, récupérer quelques meubles dans un appartement pour les amener à un autre. A cette fin, nous voici donc en train de louer une camionette pour l'après-midi – un déménagement en métro nous semblant peu pratiquable. Il est quatre heures, nous héritons d'une superbe fourgonette blanc cassé(e), et nous voilà partis. En voiture.

Seul problème, les japonais sont nombreux, et vu qu'il pleut, ils ont (semble-t'il) tous décidé de prendre leur voiture pour se déplacer dans Tôkyô. Enfin, se déplacer, c'est vite dit, car on ne peut pas dire qu'on avance beaucoup. Cinq kilomètres jusqu'au premier appartement, tout juste de quoi nous occuper une heure.

Un bonheur qui n'arrive pas seul, vu que notre chauffeur a un style de conduite tout personnel, et profite de l'occasion pour admirer les piétonnes sur le trottoir, tout en manquant régulièrement de faire plus ample connaissance avec le chauffeur de la voiture qui nous précède. Assis à la place du mort, j'essaie d'écraser frénétiquement une pédale de frein imaginaire, et je prends mon mal en (im)patience.

Miraculeusement, nous voici à pied d'oeuvre. On va pouvoir se défouler avec un peu d'exercice. Deuxième étage sans ascenceur, mais avec un petit escalier étroit et biscornu (gratuit! inclus, 100% de virages en plus), aux marches rendues glissantes par la fine pluie qui ne va pas cesser de l'après-midi. Autant dire que descendre le frigo et la machine à laver dans de telles conditions est un vrai plaisir que les connaisseurs sauront apprécier à sa juste valeur. Mais nous ne sommes pas des garçons coiffeurs, et une vingtaine de minutes plus tard, nous sommes prêts à accomplir la seconde partie de notre mission : direction le second appartement.

Mais justement, c'est là que les choses commencent à coincer. Car la direction nous échappe. Et deux petites rues plus loin, nous sommes perdus. Pas de panique, nous faisons confiance à notre sens de l'orientation hors du commun, et au bout de la rue, là-bas, nous prenons à gauche. La rue se rétrécit encore, on rentre les rétroviseurs pour passer à deux-trois endroits délicats, ça commence à descendre fortement, et ...

Et il y a une voiture (mal) garée qui bloque le passage. Enfin, nous n'allons pas trop lui en vouloir quand même, vu que de toutes façons, la rue s'arrête vingt mètres plus loin. Impasse, pas le choix, il faut reculer. Cinquante mètres de marche arrière cauchemardesque. A tel point qu'après un passage particulièrement difficile à négocier, on envisage de faire demi-tour. La manoeuvre s'effectue au millimètre, frôlant les murs et les pylones. Léger problème, un petit poteau a décidé de pousser au coin du trottoir, et au détour d'un coup de volant malheureux, se retrouve encastré dans la portière de la camionette. On descend, on inspecte ... bah, toute l'aile gauche était déjà cabossée, peut-être qu'ils ne remarqueront rien.

On élimine le demi-tour de nos options, on continue en marche arrière, et après quelques sueurs froides, nous réussissons à nous extirper du labyrinthe de petites rues pour déboucher sur une artère conséquente. Nous ne savons pas où nous sommes, ni où nous allons, mais ce n'est qu'un détail.

Dix minutes plus tard, il semblerait que nous soyions quelque part sur le plan que l'on nous a remis pour parvenir au second appartement. Il semblerait, parce que sachant que les rues japonaises ne portent pas de nom, il est assez difficile de se repérer. Mais avec un peu de persévérance et beaucoup d'intuition (et une bonne dose de chance, également), nous réussissons à trouver notre position sur la carte. Sauvés ! Il n'y a plus qu'à suivre la route indiquée.

... Ce qui ne nous empêche pas de rater un embranchement, et de faire un petit kilomètre de trop. Pas de panique, nous faisons demi-tour sur un parking qui passait par là. Pas de poteau mal placé, la manoeuvre se déroule sans accroc supplémentaire. Nous croisons même un vieillard cacochyme, longue barbe blanche sur une djellabah immaculée, qui tient absolûment à nous apporter la bonne parole. Le plus jeune d'entre nous s'exclame « C'est le Père Noël ! », nous mettons cela sur le compte de la fatigue.

Retour dans les petites rues, mais avec un plan c'est un peu plus facile et nous arrivons à bon port. Déchargement, re-deuxième étage sans ascenceur, toujours sous la pluie. Il est plus de six heures et demie, il fait nuit noire, tout va bien. Dans la bataille, la porte vitrée d'un meuble télé nous échappe sur le palier et disparait dans une explosion de verre Sécurit. Coup de chance, il y a une balayette et une pelle chez les voisins d'en face, on s'en sort plutôt bien.

Mission accomplie, ne reste plus que le retour. Retour sans encombre, si ce n'est que nous faisons un détour touristique (non, nous n'étions pas perdus, c'était juste pour le plaisir de découvrir Tôkyô by night) qui rallonge un petit peu (mais nous ne sommes plus à ça près), et nous manquons d'emboutir deux voitures et d'écraser un piéton trop aventureux (il traversait sur les clous, alors que le feu était vert pour lui, l'inconscient !).

Il est huit heures quand nous restituons la camionnette, ayant réalisé sur l'après-midi une vitesse de croisière des plus satisfaisantes – autour de 5km/h. La portière enfoncée passe inaperçue, il ne nous reste plus qu'à ronger notre frein alors que l'employée de l'agence prend son temps pour clore le dossier, illustrant une fois encore la remarquable efficacité japonaise. Remarquable par son absence.

La soirée est bien entamée, il pleut toujours, mais les épreuves sont terminées. La prochaine fois, on prendra le métro.