karoshi 34 : le péril jaune

« Que la Force soit avec toi ». Plus que quelques semaines avant que la « Menace Fantôme » ne se fasse bien réelle, et que la déferlante Star Wars s'abatte sur la France. Ici, à Tôkyô, cela fait déjà un bon mois que la vague est retombée, et l'on écoule les dernières canettes de Pepsi à l'effigie des personnages du film. Et ceux qui s'attendaient à un tsunami emportant tout sur son passage en ont été pour leurs frais – il fallait plus, pour emporter les Japonais, qu'une histoire se déroulant « dans une galaxie très lointaine » ...

Mais si vous êtes sans nul doute au courant de l'arrivée imminente de l'Episode 1, vous ignorez peut-être le danger insidieux qui vous guette – et qui, depuis maintenant plus de trois ans, règne sans partage sur le Japon : les Pocket Monsters. Car dès la rentrée, grâce à la chaîne satellite Fox Kids, les petits français vont pouvoir se joindre à leurs petits camarades nippons et américains, et vouer eux aussi un culte sans réserve à ce suppôt du malin dont vous connaîtrez bientôt tous le nom – Pikachû.

Au Japon, tout a commencé il y a maintenant trois ans, un jour gris et froid de Février. Le 27, précisément, débarquait dans les magasins un jeu vidéo a priori anodin, sobrement intitulé Pocket Monsters, et disponible en deux parfums – Vert et Rouge. Et la jeunesse nippone, déjà largement atteinte par le fléau du loisir électronique, de s'embraser comme un seul homme pour ces petites choses. En trois ans, ce sont plus de cinq millions de jeux qui vont être vendus sur l'archipel – touchant ainsi près d'un japonais sur 25. Du jamais vu.

Mais le phénomène « Pokemon » (puisque c'est ainsi que les Japonais abbrègent le titre du jeu) ne va pas s'arrêter là. Les peluches, les manga et le dessin animé ne vont pas tarder à faire leur apparition, histoire d'aliéner encore plus les jeunes esprits. Vous en avez d'ailleurs entendu parler l'an dernier : lors d'un épisode particulièrement captivant, quelques 600 gamins en ont pris plein les mirettes et se sont retrouvés hospitalisés pour des crises d'épilepsie. La diffusion de la série s'est retrouvée suspendue pendant quelques semaines, afin de rectifier le tir et de retirer les scènes (un peu trop flashy) incriminées dans l'affaire. Avant de recommencer de plus belle.

Il est vrai que l'histoire a de quoi déchaîner les passions enfantines : un professeur confie à deux jeunes garçons la lourde tâche de constituer une collection des 150 Pocket Monsters existant dans le monde. Pour les aider, ils disposent chacun d'un champion, un Pokemon qui va affronter les autres Pokemon pour pouvoir les capturer. Au fil de l'histoire, le joueur va rassembler une équipe de 6 champions, 6 Pokemon qui vont se métamorphoser au fur et à mesure qu'ils vont gagner en puissance – 6 Pokemon qui tiennent dans la poche, bien au chaud dans leur PokeBall.

Mais, vous demandez-vous sans doute, à quoi peut bien ressembler un Pokemon ? Et bien, un Pokemon est généralement une sorte de petit animal étrange, résultant de croisements incongrus (comme Souris et Rhinocéros, ou Plante Carnivore et Papillon) et irrémédiablement, insupportablement mignon. Et rose bonbon, ou vert pastel, ou jaune poussin, ou ... Si vous voulez avoir une idée plus précise, tous les Pokemon sont recencés sur cette page ou sur celle-ci.

Tant que vous y êtes, faites particulièrement attention au numéro 25. Et gravez-le dans votre mémoire. Parce que cette petite chose jaune n'est nul autre que l'ignoble Pikachû, idole incontestée des gamins nippons.

Il y a pire encore. Car en Septembre de l'année dernière, l'infâme Nintendo lacha sa dernière calamité sur l'archipel déjà sévèrement atteint : Pokemon Pikachû, une nouvelle version du jeu avec la star en vedette. Une nouvelle dose pour ceux qui n'auraient pas déjà jeté l'éponge devant l'invasion – soupes instantanées Pikachû, cartables Pikachû, kleenex Pikachû, porte-clés Pikachû, que sais-je encore.

Pour ma part, j'ai pu constater l'étendue des dégâts au Nintendo Space World, un salon organisé tous les ans par la firme à la Game Boy, tout à la gloire des Pokemon – championnat national du meilleur entraîneur à la clé. Et là-bas, sur 280 écrans, on pouvait découvrir le nouveau titre Pokemon, avec ses deux nouvelles saveurs – Gold et Silver – venues se rajouter au Rouge, Vert et Jaune Pikachû.

Devant ces 280 écrans, on trouvait 280 petits visages captivés et concentrés, savourant leur dix minutes de jeu (pas plus) après parfois plus d'une heure d'attente. Et durant ces trois jours où plus de 170,000 personnes sont venues s'incliner devant Pikachû, l'espace Pokemon n'a pas désempli.

En cette année de fin du monde annoncée, n'oublions pas les prédictions de Nostradamus – car selon lui, l'Antéchrist verra le jour en 1999 en Asie, et il étendra ensuite son emprise sur l'Occident. Et il faut avouer que les coïncidences sont troublantes : Pikachû apparaît en Septembre 1998 (comme quoi Nostradamus est plus précis que Paco Rabanne), il est petit et jaune, il vient du Japon, et très bientôt vous allez en bouffer jusqu'à la nausée. Je vous le dis, la fin du monde est pour dans pas longtemps ...