karoshi 23 : i want my mtv

Le joli mois de Mai est là, et avec lui reviennent les sumotori – beaucoup moins graciles que les hirondelles, évidemment. Mais bon, vous le savez, je suis un fan, et je me retrouve donc tous les soirs devant ma télévision, vers onze heures, à attendre fébrilement ma dose quotidienne de Sumo Digest, trente minutes de bonheur sportif et adipeux. Et pour passer le temps, je me retrouve à zapper joyeusement entre les quelques dix chaînes que je reçois, à la recherche de quelque chose d'intéressant (sans succès, cela va de soi). Et c'est ainsi que, de talk-show bêtifiant en jeu débile, l'on découvre l'univers impitoyable de la télévision ...

Avec ses décors clinquants et ses animateurs au sourire impeccable, notre télévision française fait figure d'utopie, de monde bienveillant où tout le monde gagne dans la bonne humeur, à peine interrompu par le rappel à la réalité du journal de vingt heures – un journal qui, encore, respire le high tech et l'irréalité avec ses présentateurs-tronc et ses invités toujours souriants et posés.

Ne serait-ce que sur la forme, déjà, la télé japonaise semble tristement réelle, banalement quotidienne. Sans forcément évoquer les cas extrêmes (comme ce jeu se déroulant dans un hangar mal éclairé et visiblement glacial, s'il faut croire les invités emitouflés dans leurs anoraks et tapant des pieds pour se réchauffer), il est bien rare que l'on puisse parler de décor pour les émissions – le terme d'ameublement serait plus juste. Canapés aux tissus fleuris et passés quand il ne s'agit pas de chaises en bois, être invité peut parfois se révêler particulièrement inconfortable.

Ceci dit, il y a des compensations, des libertés qu'on ne saurait prendre dans le cadre idéalisé d'une émission française. Sur les plateaux japonais, on peut boire ou fumer dans une atmosphère détendue – imaginez Delarue en chemise camionneur, en train d'en griller une petite, tout en sortant quelques vannes « énaurmes » aux invités du débat du jour prêts à se marrer comme des baleines ... Avec la télévision japonaise, c'est sûr, on a de l'authentique.

D'ailleurs, cette recherche du vrai, de l'authentique, on la retrouve chaque fois qu'il s'agit de présenter successivement plusieurs gros titres, comme lorsque l'on révèle le classement des meilleures ventes de disques. Ici, pas d'infographie bluffante de technologie avec effets spéciaux qui en mettent plein la vue – on retrouve les joies de l'artisanat, du fait-main et du système D. Un carton sur lequel sont imprimés les titres en lettres colorées, de grandes bandes adhésives que l'on retire au fur et à mesure, et le tour est joué. Pour les émissions les plus luxueuses, on a parfois droit à un superbe système de loupiotes actionnées manuellement (il y a un interrupteur sur le côté, clic c'est allumé, clac c'est éteint) qui n'auraient pas dépareillé dans un film de science-fiction des années 60. Dans l'El Dorado de l'électronique, l'artisanat n'a toujours pas dit son dernier mot.

Il semble en être de même de l'amateurisme : toujours « authentique », la télévision japonaise n'a pas peur de montrer ses coulisses – même si c'est parfois involontaire. En effet, si régulièrement les girafes (les grands micros placés au bout d'une perche) entrent dans le champ de la caméra ou projettent une ombre sur le mur, cela est le plus souvent habilement dissimulé derrière une mise au point approximative (en un mot, floue) ou un cadrage complètement à la masse, digne des plus belles photos d'anniversaire réalisées par votre petit neveu (8 ans) avec son tout nouvel appareil.

On reconnaîtra que la télévision française a, elle aussi, commencé à montrer ses rouages, à faire découvrir les fourmillières de ses studios le temps d'un plan général, histoire de renforcer la fascination qu'elle exerce – tour d'illusionniste dont, décidément, on ne réussit pas à voir le truc.

Loin d'être une mécanique bien huilée qui se laisse agréablement oublier, la machine télévisuelle nippone disfonctionne, grippe, dérape et capote. Et les invités ont beau rire bien fort, la petite lucarne n'a décidément rien de magique ... (A suivre)