karoshi 20 : manque de soins ?

Si les samouraï hantent rarement les rues de Tôkyô, j'ai la chance d'avoir parmi mes connaissances l'un de ces chevaliers modernes qui endossent leur armure le week-end pour aller courir après un ballon ovale – du football américain. D'aucuns me diront que jouer au football américain avec des Japonais, c'est un peu comme faire le Tour de France en trottinette : c'est l'intention qui compte. Pour ma part, désireux de me faire une opinion, j'avais accepté de passer une journée sur les gradins venteux du Kawazaki Stadium, coincé sur les fauteuils taille huit ans à tenter de me réchauffer avec un café en boite.

J'étais en train de constater qu'effectivement, les japonais n'étaient pas loin d'être des bras cassés dans un sport loin d'être aussi noble que le rugby du pays du cassoulet, quand j'entendis la voix forte du numéro 80 m'interpeller d'un « Xavier » vigoureusement beuglé. Le pauvre petit s'était fait mal au médius de la main gauche, et nécessitait mes talents de traducteur pour expliquer au soigneur que « aïe aïe aïe oui c'est là aïe aïe hou la la ».

L'occasion de faire mes premiers pas dans le monde merveilleux du vocabulaire médical, ce qui me permet en quelques minutes de découvrir la différence entre « dakkyû » (déboitement) et « kossetsu » (fracture). Et mine de rien, cette subtile nuance va nous entraîner dans une après-midi passionnante d'exploration du système médical japonais, un système bien spartiate et sans anesthésie.

Après les premiers soins dispensés par le soigneur sur la touche, nous voilà partis pour le Keiô Daigaku Byôin, le CHU du coin. L'entrée est tellement bien indiquée que nous nous retrouvons à explorer le sous-sol, entre les piles de linge sale et les internes en train de réviser, dans un labyrinthe de couloirs aux murs jaune pisseux et au lino en décomposition. Dans ce désert oublié par les hommes (après tout, c'est Dimanche), nous réussissons tout de même à nous faire indiquer l'accueil des urgences, premier escalier à gauche, puis tout droit et à droite au fond.

Là, nous expliquons la raison de notre visite à un jeune homme en pleine explosion d'acné, qui nous écoute très poliment avant de nous poser la question assassine : « Vous avez téléphoné ? ». Ah ben non, on n'y a pas pensé, après tout, ce sont les urgences et ... « Parce qu'il faut téléphoner. Parce que là, vous voyez, il n'y a personne, il faut que vous reveniez demain ». Silence.

C'est finalement face à ce genre de chose que l'on devient, forcément, très Zen. Pas de panique, on va aller manger un morceau, parce qu'il fait faim, et que heureusement que ce n'est qu'une fracture bénine, ça pourrait être bien pire.

Mais comme nous sommes têtus, et qu'on a beau être un joueur de football américain, on n'en est pas moins homme, nous allons tenter notre chance dans un autre hôpital, histoire de bien finir une après-midi déjà bien entamée. Miyajima Byôin, voilà un nom chargé de promesses. Et là, miracle. Il y a quelqu'un, et ce quelqu'un veut bien s'occuper de nous, radiographer, examiner, tâter, diagnostiquer, plâtrer et facturer, le tout dans des locaux des plus high-tech, si tant est que votre notion du high-tech se situe autour des années 70. Ce n'est pas si grave que ça, après tout, ça va très bien avec le médecin qui, lui aussi, commence à accuser l'âge.

Si les premières tentatives de communication sont un peu difficile, tout va aller beaucoup mieux quand le bon docteur va découvrir que nous sommes français. Sa femme arrivant, nous apprenons alors que leur fille s'est mariée avec un français, qu'ils sont allés plusieurs fois à Paris mais que monsieur, visiblement, est plutôt casanier et que d'aller admirer la Tour Eiffel à l'autre bout du monde n'est pas franchement sa tasse de thé.

L'ambiance se fait beaucoup plus familliale, on en oublie presque de soigner notre footballeur, madame réprimande gentimment monsieur (tu pourrais lisser un peu mieux le plâtre, quand même), et il devient presque difficile de se quitter. Après nous avoir précisé le prochain rendez-vous une bonne douzaine de fois (pour être sûr que nous ayions compris), nous prenons enfin congé.

L'adresse est notée. Quitte à se faire torturer sur un équipement médical antédiluvien, autant que ce soit dans la bonne humeur.

(Au passage, nous y sommes retournés depuis, afin de faire vérifier la bonne prise du plâtre. Nous étions l'attraction de la journée, c'est tout juste si les infirmières n'ont pas fait la Hola en nous voyant arriver ...)