karoshi 18 : la vie de salon

Le 21 Mars, c'est l'équinoxe de Printemps. Bye-bye l'hiver et sa grisaille, voici qu'arrive le temps des jours qui s'allongent et des jupes qui raccourcissent. Mais foin de toutes ces billevesées, point n'est le moment de batifoler, mais bien d'aller gagner son bol de riz quotidien à la sueur de son noble front – tout en tentant de se souvenir que « Il faut travailler pour vivre, et non pas vivre pour travailler ». Ou presque.

En effet, avec le Printemps arrive aussi une nouvelle édition du Tôkyô Game Show, grande foire du jeu vidéo qui débarque deux fois par an avec la régularité d'un équinoxe. Le TGS, comme on l'appelle affectueusement, ce sont trois jours de folie électronique, l'occasion pour 160 000 visiteurs de découvrir en avant-première les titres qui vont bientôt leur garantir des nuits blanches devant leur télévision et leur console.

Et pour nous, les « professionnels de la profession », c'est un agréable changement dans la routine quotidienne. Au lieu de l'habituel métro-boulot-dodo, on se retrouve avec un métro-train de banlieue-boulot-sortie, et de « dodo » il n'est plus question. Et tout ça le week-end.

L'un des agréments du TGS, c'est de nous faire voir du pays. Tôkyô est bien grand, mais les organisateurs se sont dit que ce serait quand même plus rigolo de faire ça à la campagne, dans un coin perdu répondant au doux nom de Makuhari. Joie supplémentaire, non seulement Makuhari c'est loin (une bonne heure de train de banlieue), mais en plus c'est tellement bien indiqué que le visiteur un peu distrait a toutes les chances de se retrouver dans une autre localité au nom aussi poétique (Minami-Funabashi, comme l'expérience a pu le montrer), mais sans Tôkyô Game Show à lui proposer. Dommage.

Ne soyons pas mauvaise langue, le train en direction de Makuhari permet d'admirer quelques coins pittoresques des alentours Tôkyôites. Entre autres, la piste de ski artificielle du Ski Dome, le Château de la Princesse de Disneyworld, et la zone industrielle de la baie de Chiba. Le tout sur les banquettes confortables et (sur)chauffées de Japan Railways – une heure de cuisson, et on est à point.

Une fois sur place, on comprend bien vite pourquoi il n'était pas fait mention de Makuhari dans les guides touristiques. Makuhari est un paradis pour urbaniste moderne, un rêve d'architecte maniaque et ordonné – du genre qui ferait passer la Défense pour un village pittoresque et accueillant. Même les (rares) arbres qui parsèment les grandes étendues de béton et de trottoirs se mettent au diapason : il n'y a là que des palmiers au garde-à-vous, au tronc immense et rectiligne, aux feuilles lisses et tranchantes.

Notre destination finale est le Makuhari Messe, une sorte d'immense vaisseau spatial posé au milieu de cet astroport du prochain millénaire. Pour le trouver, pas de problème – il suffit de suivre le troupeau qui s'étire entre la gare et le salon. Déjà, il y a du monde. Et à l'intérieur, c'est pire. On y trouve trois halls où se tiennent les stands des éditeurs, sur lesquels les jeux sont présentés à grand renfort de décibels et de demoiselles court vêtues.

D'ailleurs, il faut reconnaître que si l'on a tôt fait de faire le tour des jeux, l'on ne se lasse pas de revenir admirer les nombreuses hôtesses, échangeant avec les copains les noms des stands les mieux pourvus. Ce printemps, c'est sans doute Namco qui remportera la Palme, avec une mention spéciale pour l'accueil (tout à fait charmant) du stand de Tyo.

Autre attraction notable, les CosPlay – « Costumed Players », ou ces japonais(es) qui viennent au TGS habillés (et souvent déshabillées) comme leur personnage préféré. Il y en a pour tous les goûts, le bon et les mauvais, qui font concurrence aux déguisés « officiels » venus faire la promotion d'un jeu. On l'imagine, les officiers nazis en uniforme SS du stand Sega (pour la promotion de Maken X, un jeu que je n'oserais pas montrer à ma petite soeur) ont fait un bien bel effet.

Bref, un peu de couleur dans un salon en demi-teinte, pris entre les débuts difficiles de la Dreamcast et assommé par les promesses de la PlayStation 2 – présentée deux semaines plus tôt et prévue pour Mars 2000. D'ailleurs, sur le stand Sony, un panneau informe les visiteurs que non, on ne dira rien sur la nouvelle console durant le salon. Déception, forcément.

Inconsolables, on se tourne alors vers quelques-uns de ces jeux typiquement japonais dont on se demande bien comment ils ne connaissent pas plus de succès en Occident : le fabuleux simulateur de conduite de métro (Densha de, GO! de Taito), passages à niveau et banlieues tristes au programme ; les nombreux jeux de pêche qui vous proposent de taquiner le gardon virtuel, armé d'un pad adapté qu'il faut secouer devant son écran (ridicule assuré) ; et enfin les jeux de courses de chevaux, pour lesquels il n'existe pas encore de manette adaptée, mais cela ne saurait tarder.

Trois jours durant, nous allons donc nous retrouver là, dans une ambiance qui n'a rien à envier à celle d'une boite de nuit – foule oppressante, sono assourdissante. J'allais écrire qu'au moins, on ne dansait pas, mais c'est faux. Sur le stand de Konami, Dance Dance Revolution attire les foules, leur proposant de transpirer un bon coup en bougeant les pieds en rythme. C'est nouveau, amusant, et tout le monde s'y essaye, costards et mini-jupes confondus.

Le soir arrive, le salon ferme ses portes, et pour nous, c'est une nouvelle occasion de prolonger la fête – découverte du Tôkyô nocturne pour nos collègues de passage, direction le karaoke ou la boite de nuit. Les jambes sont lourdes, les traits sont tirés, mais il faut bien profiter du moment et tirer le maximum des soirées, puisque les journées sont déjà prises. Je n'ai pas trop à me plaindre, contrairement aux autres, je n'ai pas de décalage horaire.

Ceci dit, lorsque le Dimanche à 17h, le TGS nous donne rendez-vous pour l'automne prochain, c'est avec un grand soulagement que l'on se dirige enfin vers la sortie – dormir, enfin. Surtout que demain, c'est Lundi, et la semaine recommence. Y a pas à dire, dans le jeu, on travaille ...