karoshi 13 : karoshi 13, ou « jason does harajuku »

Je pourrais vous faire tout un roman pour vous expliquer comment, grâce à ma grande maîtrise de la langue et en risquant ma vie dans les bas-fonds de Tôkyô pour y rencontrer un indic miteux et borgne (pourquoi borgne ? pourquoi pas ...), je me suis retrouvé un Dimanche après-midi ensoleillé à arpenter le pavé d'Harajuku. Je pourrais tourner en aventure ce qui ne fut, après tout, qu'une simple balade dominicale ...

Mais non. En fait, je l'avoue humblement, ce Dimanche-là, j'étais en chasse. En chasse d'un sujet pour le prochain Karoshi Report. Ce que mon Guide Touristique décrivait comme le rendez-vous de tous les rockabillies de Tôkyô, j'en avais entendu parler comme d'une réunion de personnages aussi incroyables que dérangés. Et bien sûr, je n'étais pas prêt de manquer l'occasion.

D'ailleurs, il semble que je ne sois pas le seul à avoir eu cette idée. Pour sa campagne de publicité Printemps-Eté 99, Benetton s'est également tourné vers Harajuku. Mais l'annonceur (audacieux pour certains, inutilement provocateur pour d'autres) s'est montré, pour une fois, bien timide. Et les Kokeshi Dolls qu'il va bientôt étaler sur vos murs sont bien pâles face aux spéciments que l'on rencontre là-bas.

J'étais déjà allé à Harajuku, deux semaines plus tôt. Mais ce jour-là, il pleuvait des cordes, et j'en avais été quitte pour une balade (humide) dans le parc de Yoyogi, juste à côté. Déception donc, puisque qu'en ce jour bien gris, la seule note de couleur avait été donnée par les embouteillages de parapluies devant le magasin de mode La Forêt (en français approximatif dans le texte).

Mais aujourd'hui, il fait beau. Le soleil brille bien fort, et pourtant il semblerait que tous les vampires de Tôkyô se sont donnés rendez-vous sur le pont qui enjambe la ligne de métro, histoire de profiter un peu de la douceur de ce jour de Saint-Valentin. Les visages sont blêmes, les yeux soulignés de noir. Les kimono sont en latex, les jupes d'écolières sages en lambeaux.

On dirait ... On dirait les acteurs d'un film d'horreur de série Z en train de faire une pause au soleil. On dirait la réunion annuelle de l'amicale des « Evil Nuns From Hell ». On dirait le fan-club d'un groupe de Death-Metal sataniste. On dirait la rue Saint-Denis un jour de Carnaval. On dirait tout cela, et plus encore.

Il y a des princesses tout droit sorties d'un film de Robin des Bois (avec Errol Flynn). Des filles en justaucorps cuir et bas résilles, fouet en option. Une fille en robe de soirée blanche à paillettes. Une pseudo-indienne voilée en sari pourpre fendu jusqu'à la cuisse. Trois punkettes aux cheveux rouges.

Il y a peut-être une soixante de japonaises, toutes très jeunes, et toutes dans des accoutrements plus incroyables les uns que les autres. A ce qu'il parait, pour la plupart, elles sont là à l'insu de leurs parents, et se changent dans les toilettes de la station de métro. Pourquoi s'habillent-elles ainsi, pourquoi viennent-elles participer à ce Grand Guignol dominical et malsain ? Peut-être pour s'attirer les faveurs des photographes qui sont là, chassant le sensationnel ou le sensuel, presque aussi nombreux que leurs proies. Peut-être ...

Pour ma part, je n'ai qu'incompréhension face à un tel étalage outré et inutile, face à cette ambiance aussi dérangeante que tristement dérangée. Et les poupées cassées d'Harajuku ont beau sourire aux photographes, il y a quand même quelque chose de pourri dans le Pays du Soleil Levant.

Là-bas, au pied de la passerelle, deux japonais très « seventies » jouent timidement quelques morceaux de leur composition. C'est là tout ce qu'il reste du Harajuku des apprentis-Elvis gominés à la truelle ... la police ayant décidé que tout cela faisait un peu trop désordre. Et en effet, même si elles ne font pas preuve de beaucoup plus de goût en matière d'esthétique, les zombies déguisées du pont ne font pas de bruit.