karoshi 11 : rich in japan

Si vous écoutez France-Info, vous avez sans doute eu plus d'une fois l'occasion d'entendre Jean-Pierre Gaillard et ses petites phrases cryptiques. Spécialiste de la lecture des cours de la Bourse en apnée, il sait toujours terminer ses interventions par une petite note d'humour – et une grande respiration d'asthmatique – du genre : « De son côté, le dollar américain s'est échangé à 113,35 yens, en hausse de 0,97 yen par rapport au cours de la veille. » (Monsieur Gaillard, je vous remercie !)

Alors là, généralement, on reste un peu frustré, surtout quand on a tout juste une vague idée de la valeur du dollar, et une notion abstraite de l'existence du yen. Pour ma part, je dois l'avouer, ce n'est que très récemment que j'ai découvert un intérêt à l'évolution du cours du yen ... soit à peu près 0.79 Euro ou 5.15 Francs pour 100 yen, autour du 4 Février. (Les plus curieux ou les boursicoteurs pourront aller chercher une information plus à jour sur ce convertisseur)

D'ailleurs, quand on est au Japon, on se retrouve très vite avec beaucoup de yens en poche, d'où l'intérêt d'en connaître la valeur. Déjà, cela commence à l'aéroport où, prévoyant, on va tirer un peu d'argent local avant de se diriger vers Tôkyô. Par la suite, les grands panneaux lumineux des banques au milieu desquel Visa figure en bonne position rassurent l'heureux possesseur d'une carte Premier aux reflets or – pas de doute, on va pouvoir frimer en l'utilisant.

Alors, il est vrai que l'on trouve facilement des distributeurs automatiques. Plein d'espoir mais les poches vides, on s'y rue, dégainant la-dite carte, histoire de renflouer un portefeuille mis à mal par des achats inconsidérés (ou une soirée un peu trop arrosée). Mais brusquement, le rêve se brise, et la carte dorée redevient un simple morceau de plastique inutile.

Car, non seulement les distributeurs se montrent farouchement patriotes et refusent d'ingurgiter autre chose que des cartes made in Japan, mais qui plus est, ils ont souvent des horaires d'ouverture ... qui sont rigoureusement les mêmes que ceux de la banque à laquelle ils sont rattachés. Pratique.

Certains d'entre vous se seront sans doute posé une question cruciale : mais pourquoi tient-il tant que ça à aller retirer de l'argent, s'il possède une carte Premier aux reflets dorés qui ne pourrait que lui attirer les attentions des vendeuses s'il la sortait d'un geste ample pour régler ses achats ? Hein, pourquoi ?

Ben tout simplement parce que, au Japon, pays à la pointe de la technologie et avec les deux pieds déjà dans le troisième millénaire, il n'est pas possible de régler ses achats autrement qu'en liquide – ou par virement banquaire, ce qui n'est pas terriblement pratique pour aller acheter des CDs. Inconnu, le chéquier ; inutilisée, la carte bleue ; au Japon, rien ne vaut les espèces sonnantes et trébuchantes.

Pour les possesseurs de carte Visa qui projètent de venir au Japon, je tiens quand même à les rassurer : il existe quelques endroits, très peu nombreux, que les initiés s'échangent à voix basse, où ils pourront utiliser leur carte à l'abri des regards indiscrets. C'est généralement à ce moment-là que l'on bénit le fondateur de la Citibank, ou que l'on s'aventure du côté du rayon équipements orthopédiques de Keio (8e étage à droite en sortant de l'ascenseur) à Shinjuku.

Cette fois-ci, c'est bon, on a pris la dose de billets, pour éviter de tomber en panne sèche. Mais très vite, on se rend compte que, malgré toute la bonne volonté que l'on peut y mettre, les billets ont tendance à se transformer rapidement en une masse de pièces qui viennent déformer les poches avec un résultat esthétique des plus moyens. Le processus est d'ailleurs tellement rapide que c'en est inquiétant.

Mais c'est que les japonais ont mis en place une méthode insidieuse et pourtant toute simple pour assurer cette transmutation du papier en métal : la TVA. Ici, il faut le dire, la TVA a augmenté il y a deux ans. Comme en France, le gouvernement a jugé bon de rajouter 2% au taux en vigueur – d'où un grand mécontentement de la part des consommateurs, et une baisse de la consommation. Le taux de la TVA est donc désormais de ... 5%.

Chiffre à ne pas oublier, vu que tous les prix sont indiqués hors taxe. Alors, non seulement cela oblige à un peu de calcul mental, mais cela a un effet déplorable sur la quantité de monnaie que l'on transporte sur soi. Un exemple rapide : pour acheter un CD annoncé (avec beaucoup de psychologie marketing) au glorieux prix de 1990 yens, somme qui permettrait une diminution de la masse monétaire personnelle (deux billets contre une pièce), on se retrouve à payer 2089 yens, ce qui est beaucoup moins pratique et générateur de mitraille.

Connaissant la nature (perverse, forcément) des choses, on ne s'étonnera pas de constater que c'est la pièce de 1 yen qui s'accumule le plus dans les poches. D'une valeur faciale et pratique à peu près nulle, elle présente tout de même un unique avantage : elle ne pèse rien, ou presque, ce qui amène à quelques conjectures sur la nature du matériau dont elle est constituée – trop léger pour être du métal, trop solide pour être du plastique ... de l'os de seiche, peut-être (renseignement pris, ce n'est que de l'aluminium. Dommage).

On se retrouve donc à chercher tous les moyens possibles de contrer la multiplication des petits yens. On s'efforce de fournir l'appoint le plus souvent possible – peine perdue. On profite des distributeurs automatiques que l'on trouve à tous les coins de rue, avec leur café en boite et leur potage de maïs. Et l'on espère qu'un yakuza en manque de menue monnaie vienne nous proposer de nous délester de notre feraille envahissante (« La bourse ou la vie » ... la bourse, sans hésitation). Mais là, aucune chance, Tôkyô reste la capitale la plus sûre du monde ...